CHAPITRE XII

 

 

 

 

On est toujours en vue de la base qui s’enfuit là-bas. Enfin, en vue des instruments parce qu’à l’œil nu… Je ne veux pas donner l’impression de me sauver. Un peu le torero qui vient de planter des banderilles et qui tourne le dos à la bête qu’il vient de dominer. Le mépris. Pas inconscient tout de même.

— Ordinateur de bord, je lâche, couplage du centre de tir avec la centrale d’acquisition. Si un engin surgit tu ouvres le feu en gerbe.

— Enregistré, fait sa voix neutre.

— Besoin de réfléchir, on garde ce cap.

Je me rejette en arrière, les yeux sur les écrans plongeant au fond de l’espace. Une certaine paix m’envahit. Une grande lucidité aussi.

Dix minutes se passent quand une voix s’élève de l’arrière, tranquille. La mienne !

— Giuse, vieux salaud !

Giuse se tourne de mon côté, les yeux dilatés. Moi aussi je suis soufflé parce que je n’ai pas ouvert la bouche…

— Bon Dieu… mais c’est Pik… jette Giuse en se retournant.

C’est lui qui a compris le premier : le cadeau HI c’est le petit sati qu’on avait ramené de l’archipel il y a bien longtemps, et qu’on gardait en hibernation.

— Vieux salaud, Giuse, vieux salaud !

Il a l’air tout excité, le père Pik. Mon pote s’est levé et l’a pris dans ses bras. Mi-ourson, mi-singe pour l’agilité, il a la taille d’un gros chat avec une tête marrante, très expressive. Un poil brun sur le dos et les flancs et blanc sur le ventre et les pattes terminées par des doigts qui lui permettent de grimper. Mais surtout il a un don d’imitation étonnant. C’est le perroquet de Vaha ! Il répète les sons qui lui plaisent. Ce qui ne veut pas dire qu’il en comprend le sens. Et son répertoire s’enrichit régulièrement… Ce qui amène de sacrés gags !

Apparemment il a bien supporté l’hibernation, parce qu’il a un petit bruit de gorge marquant son contentement.

Ça me touche, cette initiative de HI, et du coup je me retrouve plongé au cœur de mon problème. J’enregistre vaguement la présence de Giuse revenu à son poste, Pik se pelotonnant sur ses genoux pour faire un somme. Et mon grand couillon de Giuse ne bougeant plus pour ne pas le déranger…

La solution est en train d’apparaître dans mon esprit. Mais c’est un sacré changement, un bouleversement plutôt l’inverse de ce que je pratique depuis toujours. Je sais que seuls les imbéciles ne changent jamais d’avis, mais là c’est tellement grave… Besoin d’une confirmation, peut-être ?

Je repense à mes déceptions, au ratage de l’évolution des Vahussis. Bien sûr, ils sont en train de bâtir une civilisation qui ne sera pas si mal, mais leurs qualités fondamentales de tolérance, de paix, qui m’avaient séduit en arrivant la première fois, sont en train de disparaître. Or, je ne crois plus que c’est inhérent à l’évolution. Non, c’est l’homme lui-même qui en est cause, qui fait son propre malheur. Les seules vraies satisfactions que j’ai eues, ce sont les androïdes qui me les ont données.

— Belem, je dis à voix basse, sans tourner la tête. Qu’éprouves-tu pour nous ?

Il y a des siècles, cette question aurait été absurde. Je le sens pivoter vers moi et une sorte de sourire monte à ses lèvres, reflété par un écran. C’est le jour des miracles, Belem souriant…

— Drôle de question, il fait. Je pensais que tu le savais… Quelle réponse veux-tu ?

— J’ai besoin de la vérité, Belem. J’ai compris, maintenant, que les Loys avaient deviné une évolution obligatoire incontrôlable chez des androïdes comme vous. C’est pour ça qu’ils n’ont jamais voulu en concevoir… Je n’ai jamais regretté de vous avoir près de moi. Pas une seconde. Vous avez été… des amis fidèles, si tu comprends ça… et je veux savoir ce qui se passe dans vos neurones électroniques.

Il refait face aux instruments.

— Je pensais que tu évoquerais ça avec Lou ou Salvo. Tu as toujours été plus proche d’eux.

Merde ! Ils en sont déjà là ? Ils « éprouvent de la jalousie »… Fidélité, amitié, jalousie… Alors, maintenant j’en suis sûr, ils ont commencé à « vivre ».

Il reprend soudain :

— On a… beaucoup changé. Tu comprends, cette banque de comportement humain que tu nous as donnée a été reliée directement à la banque vierge de la mémoire qui se remplit chaque jour de l’expérience vécue. Notre cerveau-analyste compare et enrichit notre comportement humain avec les exemples. Peu à peu on a changé, on a éprouvé ce que vous appelez des sentiments. Les barrages initiaux sont toujours là : votre protection, l’interdiction de tuer sans ordre ou sans obligation pour vous sauver d’un danger immédiat. Mais ils sont devenus presque inutiles. Quand tu m’as désigné pour cette mission, j’ai été ce que tu appellerais heureux que ce ne soit pas Lou ou Ripou, ou Siz… Ça répond à ta question ?

Bon Dieu, ça répond foutrement, oui !

Tout est lumineux dans ma tête, maintenant.

— Giuse, je commence d’une voix claire, on va changer le projet. Les hommes sont devenus des brutes et les machines ont acquis de la sensibilité. Il faut voir les choses en face.

Il interrompt ses mamours à Pik.

— On est sur la même longueur d’onde. Continue.

— La presqu’île, c’est insuffisant. On va faire organiser par les Bâtisseurs des rassemblements de fuyards, on les endort d’une manière ou d’une autre et on les embarque dans les transports pour les amener sur la Bleue… Et pendant le voyage on sonde leur esprit pour connaître les vœux secrets de chacun. On en profite aussi pour inventer une histoire de transport en bateau dont ils se « souviennent » parfaitement au réveil. Ils sont sur un nouveau continent et n’ont aucune envie de retourner dans la confédération. Quelque chose comme ça.

Giuse a les yeux brillants, maintenant.

— Moi, je dirais qu’il faut aussi les mettre sous hibernation pour donner le temps à notre brave cerveau-ordinateur JI de faire construire ce qui aura été découvert en plongée dans leur inconscient. Imagine qu’un mec veuille être pêcheur, et vivre dans une maison comme ci ou comme ça, pourquoi ne pas lui donner le tout… Et on leur fait remonter à la surface les critères d’autrefois, tolérance, sens de l’humour, goût de la vie près des autres en petites communautés, dégoût de la violence gratuite, du combat. Enfin tout ça, quoi. Un ordinateur de gestion est parfaitement capable de lancer un programme pour grouper et réaliser ces vœux. Mettre les gens par affinités, par particularités communes. Des petits villages, tu vois… Mais il reste le problème des communications à longue distance.

Je me sens très excité, le cerveau tourne à plein régime.

— À partir du moment où on est d’accord pour influer sur leur personnalité, on peut facilement trouver un biais. Il y a des gars qui sont passionnés de mécanique, hein ? On va sortir des bagnoles, assez sûres mais primaires, des camions du même genre et surtout des zincs.

— Des avions ? Là t’es dingue…

— Dans trois ans, le père de Tava fera voler un zinc, c’est certain. On prend un peu d’avance, c’est tout. Et si c’est imprimé dans leur inconscient, pas de problème. On sort un engin… disons correspondant à l’avant-Seconde Guerre mondiale. Un truc simple, peu rapide, mais avec quelques améliorations pour augmenter la sécurité en vol. Vraiment pas dur, tu sais. Des volets de courbures par exemple. Des Fowler, tiens ! Et la radio permettant un guidage, au besoin. Non, je t’assure c’est facile et vraiment installable avec l’appui d’une intervention sur leur subconscient… Et on se fait hiberner nous aussi pour débarquer en même temps qu’eux… Qu’est-ce que tu en dis ?

— Fantastique ! On va peupler la Bleue comme on lui a donné la vie avec une sélection de flore et de faune. Ces gens sont paisibles, en prônant les valeurs de liberté et de tolérance d’autrefois on doit pouvoir retrouver des individus paisibles. Et si ça allait mal, on serait toujours là pour intervenir. Tu fais reconstruire une base, non ?

Je ris doucement.

— Oui. Tu sais, plus ça va, plus je me demande ce que cherchaient les Loys. J’ai l’impression que c’est dans les archives de HI. Et c’est bien là que je me marre… C’était tout à fait illogique quand on avait à sa disposition un grand cerveau-ordinateur comme HI de vouloir en construire un autre, miniaturisé, avec des copies élaguées de ses archives mais surtout des copies exactes de l’ensemble de sa technologie ! Alors je suis certain que les Loys n’ont jamais envisagé cette hypothèse. Et maintenant il va suffire de demander à JI de faire des recherches à temps perdu… et on saura ce qui était si important !

Giuse siffle entre ses dents.

— Il y a longtemps que tu as imaginé ça ?

— Depuis qu’on est monté à bord de leur engin. C’est aussi pour ça que j’ai fait effacer les « souvenirs » de HI se rapportant à notre passage.

— T’es vraiment un mec vicelard, hein ?

— On va faire reconstruire la base par JI, au pôle sud je pense, il y a de hautes montagnes. Il n’en a pas pour longtemps et il lancera immédiatement une série d’androïdes pour installer le nécessaire destiné aux fuyards, maisons, outils, bateaux de pêche, troupeaux, champs déjà cultivés, etc. J’ai bien envie de mettre un androïde dans chaque ferme. Il assurera la protection, sera une sorte de conseiller technique, médecin aussi et professeur pour les enfants. Il faudra le faire accepter.

Giuse reste silencieux un moment avant de dire :

— Et nous, là-dedans ?

— Tu n’as pas changé d’avis pour Tava, je pense ?

Il secoue lentement la tête.

— Non… je veux vivre avec elle. Avoir des enfants d’elle…

— On fait construire des maisons dans de beaux coins et on regarde vivre nos amis vahussis. En ce qui me concerne, je sais que l’espace, le vol, me manquerait trop, alors je continuerai à aller y faire des virées. Peut-être jusqu’à Vaha, histoire de voire comme se débrouille le père de Tava. Mais je n’interviendrai plus sur leur évolution… sauf un petit conseil, un dossier technique par-ci, par-là. Pour le plaisir.

— Tu sais, pour les balades dans l’espace, je suis client ! On garde les gars avec nous, hein ?

— Bien sûr ! Pas question pour moi de les perdre.

— En fait…, il reprend timidement, on pourrait se faire construire des baraques pas trop loin l’un de l’autre, hein ?

— Ça me ferait plaisir, je fais en secouant la tête.

Un long silence maintenant.

— J’aimerais aller voir la Bleue avant de rentrer sur Vaha, dit-il.

— Ouais… moi aussi.

 

*

 

Jamais venu ici. Une côte découpée, sablonneuse, faite d’une multitude de petites criques de sable, séparées par des pointes rocheuses. La forêt est juste là derrière, à trente mètres, avec ses hauts arbres de Vaha et des pins de Terre qui se sont bien acclimatés. L’eau est d’une transparence qui me rappelle celle de l’archipel, sur Vaha. Un paysage que l’on imaginerait en rêve…

On a aussi été survoler les grandes plaines où paissent de sacrés troupeaux de pelouz, un ruminant de Vaha, et de bonnes vieilles vaches terriennes ! L’herbe est grasse et d’un vert tendre. Et puis il y a ces grandes forêts et ces lacs, dans le centre. Une vraie beauté avec des essences d’arbres très différents aux feuillages de couleurs parfois complètement opposées.

Elle est belle, notre Bleue ! Ici, au moins, on a fait du bon travail…

 

*

 

Basse altitude. Il fait nuit dans la région où se trouve le convoi. Giuse a contacté Ripou pour lui annoncer notre arrivée. Personne n’est encore couché. Les fuyards sont autour d’un feu, un peu mélancoliques, paraît-il. Je vais leur faire dire que tout est arrangé, qu’ils ne s’inquiètent plus.

J’ai demandé à JI de rester en orbite autour de la Bleue en attendant que la base soit prête à le recevoir et j’ai fait venir mon pikjar personnel en orbite sur Vaha. Il est armé d’un rupteur. On ne sait jamais.

Je me sens terriblement nerveux en spiralant vers la vallée en anti-g, tout à fait silencieux.

La voix de Ripou sort des diffuseurs d’ambiance :

— Tava et Kori veulent venir au-devant de vous.

On se regarde avec Giuse. Il fait la grimace.

— On se pose un peu au-dessus du camp, derrière un éperon rocheux, je renvoie sans vraiment répondre.

Les écrans de visibilité extérieure donnent une couleur jaune au paysage, mais on y voit à la perfection et je descends rapidement vers l’endroit indiqué. Le sol… un peu de dérive à gauche pour être dissimulé aux vues et je coupe tout.

Pendant que Belem s’occupe à placer le poz en défense douce, Giuse et moi on se change, enfilant les vêtements vahussis qu’on avait au départ. Puis on sort.

À peine dépassé l’éperon on tombe sur Ripou, Tava et Kori. Comme à un signal, Tava se met à courir et Giuse démarre comme un fou. Ceux-là, j’en suis sûr, ils s’aiment vraiment. Et j’en suis profondément heureux pour mon brave pote.

Je continue, les tripes nouées, essayant de ne pas penser… Voilà la silhouette de Kori. Elle est arrêtée.

En me voyant, elle se met doucement en marche. Il me semble qu’on met des siècles à se rejoindre…

— Bonsoir, Cal de Ter…

Sa voix est douce, paisible. Brusquement il me semble que tout rentre dans l’ordre. Après tant d’errance, je suis en train de trouver ma voie.

— Heureux de vous retrouver, Kri, je fais d’un ton un peu rauque.

J’ai l’impression qu’elle a un petit sourire moqueur et ça m’agace un instant. Comment les femmes peuvent-elles avoir cette assurance si…

Elles doivent aussi être douées d’un sixième sens, parce que je sens son sourire s’effacer.

— Difficile… là-haut.

Cette fois, c’est moi qui souris dans l’ombre. Elle n’ose pas me brusquer. Et puis je réalise qu’elle imagine des tas de choses extraordinaires, depuis des années. Qu’elle seule sur les centaines de millions d’humains qui ont peuplé cette planète depuis mon arrivée a deviné la vérité.

Finalement elle est armée pour savoir… ou alors il n’y aura pas d’autre solution que la science pour la préparer à savoir… comme les autres. Non, elle n’est pas comme les autres.

Alors je plonge :

— Viens, je fais en faisant demi-tour vers le haut et l’éperon.

Elle me rejoint en courant et marche à ma droite.

— Alors, tu te décides enfin, Cal de Ter…

Il y a de l’amusement dans sa voix. Je stoppe et lui fais face. Mes mains montent à son visage que j’attire doucement vers moi. Mes lèvres viennent se poser sur sa bouche si douce…

Longtemps je caresse ses lèvres des miennes. Ce n’est pas un baiser-passion, c’est beaucoup plus fort !

— Tu es sûr de toi, Cal de Ter ? elle demande quand on se sépare, le ton grave.

— Oui, maintenant oui… et toi ?

— Moi, je le suis depuis si longtemps. Mais tu ne peux pas comprendre ça. C’est une histoire de femme, sans aucune logique. Enfin ta logique à toi… Il y a des années que je SAIS. Tu vois, ta logique…

Je me le demande. Tout ce qui nous est arrivé depuis tant d’années avait certainement une signification. C’était peut-être ça le vrai but ?

Le poz. On devine sa forme d’œuf assez aplati. La porte s’ouvre et le sas apparaît. Kori s’arrête net.

— Tu veux monter ? je demande doucement.

Elle hoche la tête.

— J’ai tellement attendu de connaître ces choses extraordinaires…

Sa voix est vibrante. Je la guide vers les deux marches d’accès et presse la commande de fermeture, derrière nous. Immédiatement la lumière de veille s’allume, orangée, douce. Kori cligne des yeux et tourne sur elle-même. Je lui prends la main et la guide le long de la coursive étroite qui traverse le poz en longueur vers le poste de pilotage. Sur un minuscule écran de contrôle, au plafond, je vois Belem quitter l’engin, derrière. Discret.

Le poste. Il est en éclairage orangé, lui aussi. Les écrans sont noirs puisque c’est le cerveau-ordinateur de bord qui assure, en automatique, la surveillance extérieure.

Elle s’est arrêtée à l’entrée et je respecte sa découverte. Je vais m’asseoir à mon siège de premier pilote, à gauche. Quelques secondes plus tard elle vient prendre place à côté de moi, prudemment, comme un chat qui explore un nouveau domaine.

— Alors c’est ça ? elle dit au bout d’un moment.

— C’est un poz, un engin de liaison, si tu veux. Notre pikjar de voyage est beaucoup plus grand… Il nous attend dans l’espace, au-dessus.

Elle lève la tête instinctivement. Pas effrayée, presque calme, en apparence. Je sens en elle une vibration, une attention exceptionnelle.

— Tiens, regarde, je fais en animant les écrans les uns après les autres.

Le paysage semble naître, autour de nous et elle a un moment de recul très vite réprimé. Avec colère, dirait-on.

Je sélectionne l’écran central et le ciel apparaît. Enfin l’espace, avec ce noir profond et les points lumineux des étoiles lointaines. Elle tend la main dans une ébauche de caresse et reste comme ça, immobile.

— C’est de là que tu viens ?

— Beaucoup plus loin. Tu veux voir Vaha ? Attends, je vais te montrer.

Je pianote sur la console de navigation-repérage pour éviter de parler directement à l’ordinateur, elle comprendrait encore moins. Une image de la planète apparaît et Kori est statufiée.

— C’est… Vaha ?

— Oui… Vue de l’espace… je t’expliquerai comment c’est possible, plus tard.

— C’est vrai ? elle fait en tournant vers moi des yeux dilatés. Tu crois… que je pourrai comprendre ?

— Je le crois. Et on ira doucement. Tu apprendras.

Elle baisse un peu la tête.

— Il… il n’y a pas de mots pour décrire ce que je ressens, ce qui m’arrive, pour te le faire comprendre surtout.

Je prends sa main.

— Je sais exactement ce qui t’arrive, je réponds en détachant les mots. J’ai beaucoup de choses à te raconter. Je te dirai un jour comment, moi aussi, je suis passé d’un stade de l’Histoire de ma planète à un autre, aussi éloigné que tu peux imaginer en regardant autour de toi.

— Vraiment ? Tu… tu ne viens pas de… enfin je ne sais pas, de ce monde qui utilise ces choses ?

— Ce monde-là est mort. J’ai seulement hérité de ses connaissances. C’est ce qui va nous permettre de réaliser notre projet.

Elle sourit.

— Ah oui, notre fuite vers la presqu’île. Tu dois trouver ça bien primaire.

C’est maintenant qu’il faut plonger. Elle a le droit de savoir avant n’importe qui.

— Nous n’allons pas dans la presqu’île.

Cette fois elle montre sa surprise. Puis une petite lueur apparaît dans ses yeux et son visage se transforme peu à peu.

— Nous… allons sur une… autre planète ?

Je hoche doucement la tête.

— Tu veux que je te la montre ?

Je programme la diffusion d’un enregistrement et la Bleue surgit sur l’écran central.

— C’est là que nous allons vivre, j’explique doucement, pendant que des images du sol défilent. Pour l’instant il n’y a aucun être humain sur cette planète, seulement des animaux que nous y avons amenés. Tes amis seront les premiers habitants. Et plus tard, dans plusieurs siècles, ce sont leurs descendants qui la peupleront.

Elle a un petit sourire et me lance un regard de côté… Apparemment, elle prend tout cela avec un naturel qui me stupéfie. Je m’attendais à devoir l’endormir rapidement et adoucir le choc par hypnose, mais non. Elle se renverse en arrière, les yeux demi-fermés et reste silencieuse un moment. Puis elle parle à voix basse :

— Cal de Ter… je voudrais qu’on s’aime pour la première fois ici… maintenant.

Un choc au creux de la poitrine et le cœur accélère…